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Victor Hugo

Lorsque nous cherchons Dieu,
l'Amour dit : "par ici!"
 

Extrait des Misérables

Quelque fois, à une heure avancée de la nuit, on l'entendait marcher lentement dans les allées. Il était là, seul avec lui-même, recueilli, paisible, adorant, comparant la sérénité de son cœur à la sérénité de l'éther, ému dans les ténèbres par les splendeurs invisibles de Dieu, ouvrant son âme aux pensées qui tombent de l'inconnu. Dans ces moments là, offrant son cœur à l'heure où les fleurs nocturnes offrent leur parfum, allumé comme une lampe au centre de la nuit étoilée, se répandant en extase au milieu du rayonnement universel de la Création, il n'eut pu dire lui-même ce qui se passait dans son esprit, il sentait quelque chose s'envoler hors de lui. Mystérieux échanges des gouffres de l'âme avec les gouffres de l'univers! Il songeait à la grandeur et à la présence de Dieu, à l'éternité future, étrange mystère, à l'éternité passée, mystère plus étrange encore, à tous les infinis qui s'enfonçaient sous ses yeux dans tous les sens, et sans chercher à comprendre l'incompréhensible, il le regardait. Il n'étudiait pas Dieu, il s'en éblouissait.

Les Contemplations

 

IL FAIT FROID 

L'hiver blanchit le dur chemin. 

Tes jours aux méchants sont en proie. 

La bise mord ta douce main; 

La haine souffle sur ta joie. 

La neige emplit le noir sillon. 

La lumière est diminuée...

Ferme ta porte à l'aquilon! 

Ferme ta vitre à la nuée. 

Et puis, laisse ton cœur ouvert! 

Le cœur, c'est la sainte fenêtre. 

Le soleil de Brume est couvert; 

Mais Dieu va rayonner peut-être! 

Doute du bonheur, fruit mortel; 

Doute de l'homme plein d'envie; 

doute du prêtre et de l'autel;

Mais crois à l'amour, ô ma vie! 

Crois à l'amour, toujours entier, 

Toujours brillant sous tous les voiles! 

À l'amour, tison du foyer! 

À l'amour, rayon des étoiles!

 

Aime, et ne désespère pas. 

Dans ton âme, où parfois je passe, 

Où mes vers chuchotent tout bas,

Laisse chaque chose à sa place. 

 

La fidélité sans ennui, 

La paix des vertus élevées, 

Et l'indulgence pour autrui, 

Eponge des fautes lavées. 

 

Dans ta pensée où tout est beau, 

Que rien ne tombe ou ne recule. 

Fais de ton amour ton flambeau. 

On s'éclaire de ce qui brûle. 

 

À ces démons d'inimitié

Oppose ta douceur sereine, 

Et reverse-leur en pitié

Tout ce qu'ils t'ont vomi de haine. 

 

La haine, c'est l'hiver du cœur

Plains-les! Mais garde ton courage. 

Garde ton sourire vainqueur; 

Bel arc en ciel, sors de l'orage! 

 

Garde ton amour éternel. 

L'hiver, l'astre éteint-il sa flamme? 

Dieu ne retire rien du ciel; 

Ne retire rien de ton âme! 

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ECLAIRCIE

L'océan resplendit sous sa vaste nuée. 

L'onde, de son combat sans fin exténuée, 

S'assoupit, et , laissant l'écueil se reposer, 

Fait de toute la rive un immense baiser. 

On dirait qu'en touts lieux, en même temps, la vie

Dissout le mal, le deuil, l'hiver, la nuit l'envie, 

Et que le mort couché dit au vivant debout: 

Aime! et qu'une âme obscure, épanouie en tout, 

Avance doucement sa bouche vers nos lèvres. 

L'être, éteignant dans l'ombre et l'extase ses fièvres,

Ouvrant ses flancs, ses reins, ses yeux, ses cœurs épars, 

Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts

La pénétration de la sève sacrée. 

La grande paix d'en haut vient comme une marée. 

Le brin d'herbe palpite aux fentes du pavé; 

Et l'âme a chaud. On sent que le nid est couvé. 

L'infini semble plein d'un frisson de feuillée. 

On croit être à cette heure où la terre éveillée

Entend le bruit que fait l'ouverture du jour, 

Le premier pas du vent, du travail, de l'amour, 

de l'homme, et le verrou de la porte sonore. 

Et le hennissement du blanc cheval aurore. 

Le moineau d'un coup d'aile, ainsi qu'un fol esprit,

Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit; 

L'air joue avec la mouche et l'écume avec l'aigle; 

Le grave laboureur fait ses sillons et règle 

La page où s'écrira le poème des blés; 

Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés; 

L'horizon semble un rêve éblouissant où nage

L'écaille de la mer, la plume du nuage, 

Car l'Océan est hydre et le nuage oiseau.

Une lueur, un rayon vague, part du berceau 

Qu'une femme balance au seuil d'une chaumière, 

Dore les champs, les fleurs, l'onde, et devient lumière

En touchant un tombeau qui dort près du clocher. 

Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher

L'ombre, et la baise au front sous l'eau sombre et hagarde. 

Tout est doux, calme, heureux, apaisé; Dieu regarde. 

 

 

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Aimons toujours! aimons encore! 

Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit. 

L'amour, c'est le cri de l'aurore, 

L'amour c'est l'hymne de la nuit. 

Ce que le flot dit aux rivages, 

Ce que le vent dit aux vieux monts, 

Ce que l'astre dit aux nuages, 

C'est le mot ineffable: Aimons! 

(...)

Si tu veux, dans ce vil séjour, 

Garder ta foi, garder ton âme, 

garder ton Dieu, garde l'amour! 

Conserve en ton cœur, sans rien craindre, 

Dusses-tu pleurer et souffrir, 

La flamme qui ne peut s'éteindre

Et la fleur qui ne peut mourir! 

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LA NICHEE SOUS LE PORTAIL  

Oui, va prier à l'église,
Va ; mais regarde en passant,
Sous la vieille voûte grise,
Ce petit nid innocent.

Aux grands temples où l'on prie
Le martinet, frais et pur,
Suspend la maçonnerie
Qui contient le plus d'azur.

La couvée est dans la mousse
Du portail qui s'attendrit;
Elle sent la chaleur douce
Des ailes de Jésus-Christ.

L'église, où l'ombre flamboie,
Vibre, émue à ce doux bruit;
Les oiseaux sont pleins de joie,
La pierre est pleine de nuit.

Les saints, graves personnages,
Sous les porches palpitants,
Aiment ces doux voisinages
Du baiser et du printemps.

Les vierges et les prophètes,
Se penchent dans l'âpre tour,
Sur ces ruches d'oiseaux faites
Pour le divin miel amour.

L'oiseau se perche sur l'ange;
L'apôtre rit sous l'arceau.
"Bonjour, saint !" dit la mésange.
Le saint dit : " Bonjour, oiseau !"

Les cathédrales sont belles
Et hautes sous le ciel bleu;
Mais le nid des hirondelles
Est l'édifice de Dieu

 

 

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